samedi 5 juin 2010

The Divine Comedy - Bang Goes The Knighthood


Neil Hannon n’est pas de ce monde. Avec son allure d’éternel dandy et son phlegme tout britannique, il semble débarquer d’un roman de Jane Austen. Bien loin des vulgarités du monde moderne, il est de cette race presque éteinte des gentlemen. Maniant aussi bien l’humour à la Oscar Wilde que la mélancolie Baudelairienne, c’est un poète romantique comme on n’en fait plus : à la fois éclairé et élégant, refusant de choisir entre style et substance. Depuis 1989, à la tête de The Divine Comedy, il s’amuse à distiller sa pop sophistiquée et so british sur des albums plus magiques les uns que les autres (avec une préférence toute personnelle pour Regeneration, aux tonalités plus rock). Comme des toiles de Turner, la musique de Hannon est lumineuse, brillante, et pourtant toujours empreinte d’une certaine tristesse. Loin de se contenter d’écrire des chansons, il dépeint des scènes où s’entremêlent les absurdités de la vie actuelle et le charme des siècles passés. Fermez les yeux, et vous y êtes : la campagne anglaise, un salon luxueux dans un de ces petits manoirs entourés de rosiers, une tasse de thé à la main, Mr Darcy qui revient d’une balade équestre en forêt… je digresse. Tout cela pour dire la rareté et la valeur d’un groupe comme The Divine Comedy dans le paysage musical contemporain.
Et lorsqu’il n’est pas occupé à écrire pour Air ou Charlotte Gainsbourg, Hannon nous fait la grâce d’un nouvel opus. Le dernier, Victory For The Comic Muse, datait de 2006, autant dire que l’attente commençait à se faire sentir. La pochette un peu burlesque de Bang Goes The Knighthood nous a d’abord rassuré sur un point : Hannon n’a aucunement perdu son sens de l’humour. Puis le premier single, At The Indie Disco, est venu confirmer cette première impression. Comment ne pas être conquis par ces références à Morrissey, Blur, The Cure, ou encore lorsque dans son éternel rôle d’amoureux maladroit, il dit de sa dulcinée « She makes my heart beat the same way as at the start of Blue Monday » ? Le genre de perle qui n’est pas sans rappeler Morrissey, justement, ou encore Jarvis Cocker, et qui inscrit Neil Hannon dans cette fantastique lignée de songwriters raffinés et malicieux comme seuls nos voisins d’Outre-Manche savent en produire.
Quant au reste de l’album, il n’a pas déçu l’inconditionnelle que je suis. Certes Bang Goes The Knighthood n’est pas le genre de disque qui vous assaille à la première écoute, il faut s’armer d’un peu de patience avant d’y percevoir les étincelles de génie, mais une fois la garde baissée, il se révèle tout aussi charmant que ce à quoi Hannon nous a habitué jusqu’à présent.
Commençons avec le surprenant Down In The Street Below. Alors qu’on s’attend à une ordinaire ballade au piano, nous voilà très vite transportés dans le rythme frénétique de la ville, où l’on assiste à la vision presque banale d’un couple en plein naufrage. Une fois de plus, Hannon aime brouiller les pistes, et les mélodies presque joviales ne font que mieux ressortir la tragédie qui se déroule sous nos yeux. Du travail de maître. Utilisant la même ficelle, The Complete Banker, sous ses airs de ritournelle pop, est en fait une véritable critique de la spéculation capitaliste et du conservatisme Thatchérien, mais toute en cynisme et clins d’œil, ce qui ne la rend que plus efficace.
Vient ensuite Neapolitan Girl, qui malgré son humeur estivale, n’est pas inoubliable. Car elle est vite balayée par la merveille qu’est Bang Goes The Knighthood, aux accents slaves et dramatiques, et qui décrit les tendances décadentes et inavouables de l’aristocratie anglaise.
At The Indie Disco, dont nous avons déjà parlé, apporte ensuite un peu de fraîcheur et d’innocence à ce disque à l’atmosphère pour l’instant assez sombre. De même que Have You Ever Been In Love, et son ambiance feutrée et jazzy, une de ces brillantes chansons d’amour insouciantes mais pas gnangnans dont seul Hannon a le secret.
Assume The Perpendicular, avec son texte pourtant totalement absurde sur les passionnés d’architecture Géorgienne (si, si), puis The Lost Art Of Conversation, restent de jolies petites rengaines pop, plaisantes certes, mais pas forcément révolutionnaires. Heureusement Island Life renoue avec l’exigence et la richesse musicale des belles heures de The Divine Comedy, de l’introduction aérienne aux chœurs délicats de Cathy Davey, tout y est parfait, léger, presque irréel.
Mais décidément c’est dans le registre mélancolique qu’excelle Neil Hannon, comme le prouve le déchirant When A Man Cries, au titre explicite. Il en fait des tonnes, sort les grandes mélodies et les violons, sans complexe. Joué par n’importe qui d’autre ça aurait peut-être frôlé le ridicule, mais ici, ça fonctionne. La chair de poule est là pour en attester. Il est alors bien difficile de passer à la quasi-comique Can You Stand Upon One Leg, mais une fois de plus Hannon dicte l’humeur, et nous voilà dans un cirque aux milieux des clowns et des funambules, et il est impossible de ne pas s’émerveiller comme des enfants devant la performance vocale tout simplement extraordinaire de notre chanteur à la fin de cette chanson (je vous laisse la surprise). L’album se termine sur la pépite enjouée I Like, très réminiscente d’Electric Light Orchestra, et qui mettrait n’importe quel grincheux de bonne humeur.
Une façon merveilleuse de clore ce disque varié, aussi profond que léger, qui oscille sans difficulté entre grosses orchestrations et musique de chambre, grandiloquence et retenue, et qui révèle ses charmes un peu plus à chaque écoute. Luxe, calme, et volupté, The Divine Comedy comme on l’aime.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire