jeudi 15 juillet 2010

Eraso! + Los Campesinos! + The Soundtrack Of Our Lives + Manic Street Preachers - Bilbao BBK Live (Espagne), 10.07.10

                                

Ce n’est qu’en me baladant dans les rues désertes de Bilbao à deux heures du matin, seule, minuscule dans l’immensité du silence urbain, que je m’en suis rendue compte : je suis complètement tarée. Pourtant, il y a quelques mois de cela, ça ne m’avait frappée. Traverser le pays, dépenser une petite fortune, passer des heures dans des trains de nuits et des métros merdiques, me perdre dans une ville où je ne parle pas un mot de la langue, tout ça pour passer une heure en compagnie des Manics ? Mais bien sûr ! Cela s’imposait presque comme une obligation. Comment, ça fait six mois que je n’ai pas vu les jambes de Nicky Wire, remédions vite à ce problème de notre manière préférée : dans la précipitation et l’immaturité la plus totale.



Me voilà donc sur une colline sans intérêt de Bilbao, à patienter des heures dans la fournaise de l’été Espagnol, à écouter les balances de groupes dont je me contrefiche, tout ça pour trois quadras que je reverrai de toute façon cinq fois cet automne. Tarée je vous dis. Mais puisque nous sommes là, tâchons au moins de profiter de cette journée. Premier soulagement, je ne serai pas seule dans cet enfer, je retrouve deux Anglaises que j’ai déjà croisées puis deux charmantes Italiennes. Squattage de barrière oblige, je manque volontairement Zain, The Maccabees, Jeff Tweedy et Feeder. Le BBK festival est surtout fréquenté par des métalleux et autres populations à sales coupes de cheveux. Les jours précédents ont été marqués par la présence de Rammstein, Pearl Jam, Alice In Chains ou encore Slayer, nos allures de fifilles à paillettes ne passent donc pas inaperçues, en particulier celle des Anglaises qui sont venues en robes à fleurs, chapeaux de pailles et talons de dix. Mais enfin, les festivités commencent.



Que dire d’abord d’Eraso!, groupe de métal Basque Espagnol (je sais, ça fait envie) et qui m’a littéralement explosé les oreilles dès leur première chanson. La faute aux grosses basses, réglées tellement fort que le gravier sur le sol sautillait à chaque note. C’est lourd, mais pas dans le bon sens du terme. Je capitule au bout de cinq minutes, je me rassois le long de la barrière, les mains sur les oreilles. Quelques mecs aux allures légèrement défoncées ont l’air d’apprécier, on est content pour eux. Et dire que Eraso! remplace au pied levé les fantastiques Band Of Skulls, c'est ce que j'appelle avoir la poisse.



Heureusement, ce calvaire musical est suivi par la douceur de Los Campesinos!, qui comme leur nom ne l’indique pas, ne sont pas du coin mais bien du Pays de Galles (décidément, entre Feeder, les Manics et eux, l’accent Gallois est à l’honneur aujourd’hui). Ces charmants octuplés joueront un set joyeux et rafraîchissant, et par cette chaleur infernale, on en avait bien besoin. C’est l’indie britannique comme on l’aime : inventif, simple, mélodieux. Ne cherchez pas chez eux d’attitude blasée ou de pose de papier glacé : Los Campesinos! aiment drôlement ce qu’ils font, et c’est communicatif. Pour une fille qui se méfie de tout ce qui est labellisé « indé » comme de la peste, je me suis prise à leur jeu quasi instantanément. Il faut dire qu’ils sont franchement sympathiques, et entre la ravissante violoniste et le chanteur qui finira les joues rouges et trempé de sueur, on ne sait pas lequel d’entre eux est le plus mignon. Et on leur pardonne leurs paroles un peu ridicules par moment. Durant une petite heure, on tapera du pied sur Death To Los Campesinos!, We Are Beautiful, We Are Doomed, et surtout You! Me! Dancing!, à l’intro tout simplement éblouissante.



Puis l’attente de nouveau. Je n’espère vraiment rien de spécial de la part des suivants, The Soundtrack Of Our Lives, groupe que je ne connais à vrai dire pas du tout. Une bande de quadras débarquent sur scène, démarrent en trombe, et là, LA CLAQUE. Pour être honnête, je pourrais bien écrire ce paragraphe entier en majuscule. Ce groupe est tout simplement immense. Incroyable. Ils ont tout : les chansons, la virtuosité, la présence, l’attitude. Qu’un tel groupe soit aussi peu exposé, c’est indécent. Quand je pense que je ne les connaissais même pas, j’ai envie de ma flageller. Chacun des membres de TSOOL est une rock star et en fait des caisses pour notre plus grand plaisir. Il y a le chanteur, au physique totalement improbable, un Demis Roussos en tunique hippie, tantôt christique tantôt habité par le diable, hurlant à genoux et sautant dans la foule. Un guitariste, James Dean Bradfield qu’on aurait teint en blond, des doigts d’or, un sex appeal indéniable. Il n’aura de cesse d’enchaîner toutes les poses rock ‘n roll existantes : les moulinets de Pete Townshend, les coups de pied en l’air, les scissor kicks, le headbanging, le duckwalk à la Chuck Berry… On s’attend presque à le voir foutre le feu à sa Gibson ou à jouer avec les dents. Ce mec ne joue pas de la guitare, il lui fait l’amour. Et sacrément bien. Rien qu’à le regarder, mes hormones en ont pris un coup. Un deuxième guitariste l’aide à créer le son de malade du groupe : Keith Richards, 20 ans et l’allure de clodo en moins. Lui aussi ne goûte pas son plaisir : solos ahurissants, guitare derrière la tête, sauts dans tous les sens… Le keyboardiste est en extase, le batteur fait la majorette avec ses baguettes, le bassiste est grand, maigre, cool, imperturbable, c’est un bassiste quoi. J’ai l’impression d’assister à un concert de légende. Pas un morceau qui ne soit une tuerie. Thrill Me, Nevermore, Second Life Replay (à pleurer), Babel On, et le gigantesque Bigtime de sept minutes. TSOOL oscille du rock primaire à la Stooges au rock psyché de Woodstock. Partout, des gros riffs, des solos interminables, une batterie puissante, des mélodies travaillées mais catchy, une énergie qu’on peine à trouver chez une majorité de groupes plus jeunes. Les autres groupes devraient se prosterner backstage pour les remercier de les laisser partager la scène aujourd’hui, de les laisser respirer le même air qu’eux. Le Rock ‘N Roll n’est pas mort, fucking hallelujah. À cet instant, The Soundtrack Of Our Lives est le plus grand groupe du monde.



Après cette décharge d’adrénaline et une heure avant les Manics, c’est bien difficile de rester calme. Je tremble déjà, j’ai les mains moites, le cirque habituel. Comme dirait ma nouvelle amie Italienne, avec les Manics, chaque fois est une première fois. Autant dire que je suis tendue comme une vierge avant un bal de promo. Enfin, dans un nuage de fumée, ils arrivent. Je crie comme une fillette de 12 ans devant Justin Bieber. Pas le temps de comprendre ce qui m’arrive, le groupe enchaîne les classiques incontournables (Motorcycle Emptiness, Design For Life, You Love Us, If You Tolerate This Your Children Will Be Next…) et les titres plus rares en festivals (Suicide Is Painless, Kevin Carter, The Masses Against The Classes…). Le son fait parfois quelques caprices, mais le groupe joue suffisamment bien pour sauver l’ensemble. Nicky Wire est magnifique, avec sa casquette de marin fétiche et ses immeeeenses jambes. Il sautille, se déhanche à cinq mètres de mes yeux énamourés, sourit et chante, un Nicky des bons jours. Pour la première fois je vois Sean Moore, d’habitude caché derrière ses fûts. C’est presque impossible de prendre des photos, il y a plus de fumée sur cette scène que sur les bords de l’Eyjafjallajökull, les photographes râlent. Parfois le groupe est totalement invisible pendant de longues secondes, c’en est presque ridicule. La foule réagit bien, les Espagnols connaissent étonnamment The Everlasting et Your Love Alone Is Not Enough. Les mecs de la sécurité tentent en vain de comprendre la logique du shouty-pointy, art traditionnel du premier rang. Mais non, ça ne s’explique pas, il faut en être pour comprendre. Une heure dix passent décidément bien trop vite, et je suis laissée sur ma fin, les genoux encore faibles et la voix cassée. La dépression post-concert m’agrippe alors que je suis encore à la barrière. La réalisation d’avoir parcouru tant de kilomètres pour une petite heure de plaisir déjà terminée. Heureusement, l’idée de les revoir en octobre me donne du baume au cœur.



Après les Manics, affamées, assoiffées, privées de sommeil, et rouges de coups de soleil, nous décidons de partir, au diable Faith No More et Jet. On tente de voler des drapeaux à l’effigie du groupe dans les rues de la ville, puis je me retrouve seule au pied du Guggenheim, devant l’araignée géante de Louise Bourgeois, à deux heures du matin. Je suis peut-être complètement tarée, mais je n’échangerais ma place pour rien au monde.


2 commentaires:

  1. J'aime bien les tarés moi

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  2. J'adore ta review Chloé! Même si j'aurais pu y aller, je n'y serais pas allée vu que je suis allergique aux festivals et au soleil (pas au même point que Ian Curtis mais ça me déclenche de belles plaques et surtout, j'ai déjà été brûlée au deuxième degré). J'en peux plus d'attendre la fin de l'année de malade niveau concert! Sinon contente de voir que Nicky a de nouveau la même couleur de cheveux que moi lol

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