vendredi 6 août 2010

O. Children - O. Children


Faisant couler pas mal d'encre (noire) dans la presse musicale britannique depuis 3-4 ans déjà, elle ne cesse de faire des petits dans les bars lugubres de Shoreditch, et pourtant la scène est-Londonienne vit un tournant critique. Hétérogène, voire carrément éparpillé (que ce soit au niveau des styles comme de la qualité), et réservé à une poignée de connaisseurs, ce mouvement décidément bien difficile à définir a du mal à s'imposer sur le plan national, et encore moins à l'étranger. Hormis les Horrors, qui, les premiers sur le coup, ont vite réussi à tirer leur épingle du jeu, rares sont les groupes à avoir dépassé les frontières des rues en briques de l'East End. La faute peut-être à un goût exagéré pour la confidentialité, à cet étrange complexe selon lequel, si c’est abordable, commercial, c’est pas crédible, mais aussi, et c'est la plus grande menace qui pèse sur le mouvement, à la naïve conviction chez certains qu'il suffit de s'habiller en noir et d'avoir le vinyle d’Unknown Pleasures pour avoir sa place dans un groupe obscur et macabre bien comme il faut. Non, personne ne veut entendre votre no wave pseudo-expérimentale à peine plus mélodieuse qu'un concert de vuvuzelas. Non, ce n'est pas parce que vous avez les jambes de Rhys Webb et que vous hantez les trottoirs de Whitechapel que vous headlineraient le Offset Festival l’an prochain. Symptôme révélateur de cet immense gâchis, l'avortement précoce d'une multitude de formations (White Rose Movement, Ipso Facto, An Experiment On A Bird In The Air Pump, pour ne citer que les plus regrettés). Les autres, à défaut de splitter, semblent englués dans le syndrome de l’éternel groupe débutant, sans jamais pouvoir donner une quelconque consistance à leur élan créatif, et l’on doit éternellement se contenter de demos et de remixes mal dégrossis. Moi qui aime l'idée d'album, concept ringard à l'époque du "tout, tout de suite", je reste perpétuellement sur ma faim. Je pleure depuis des mois pour qu'Ulterior et R O M A N C E (mes deux favoris dans le lot) sortent enfin un long format, mais pour l’instant, rien à l’horizon. Voilà pourquoi j’aime les vieux groupes, c’est moins frustrant.
Mais hallelujah, O. Children semble avoir évité tous ces écueils, et sortent enfin un album, un vrai, vous savez un CD, c’est comme un vinyle mais plus pratique, si si vous devriez essayer. Je taquine. Un album donc, avec quelques titres déjà connus sous la forme de multiples demos, qui dans leur cas étaient déjà suffisamment abouties. Se soulevait donc cette légitime inquiétude : Pouvaient-ils mieux faire ? Une production un peu léchée ne viendrait-elle pas tout gâcher ? Perdraient-ils leur son si brut, si froid, si unique ? Instant de vérité.
Dès le premier titre, ça fuse. Envolées lyriques, grandes mélodies, splendeur et désespoir, ça vole haut. Cette grandiloquence, qui pour d’autres s’avère un défaut, est pourtant totalement jubilatoire, et elle ravira les sensibilités à fleur de peau et les esprits rêveurs. Non, O. Children ne fait pas dans la simplicité ni dans la modestie, et c’est justement le plus grand atout de ce disque. On ne s’y ennuie jamais. Même les familières Dead Disco Dancer et Radio Waves nous surprennent encore par certains détails qui nous avaient échappés et quelques nouveaux arrangements. Bien sûr, la voix de Tobias reste peut-être l’instrument le plus présent et le plus fascinant d’O. Children. Ian Curtis se serait-il réincarné dans les cordes vocales d’un black de deux mètres de haut avec un prénom allemand ? Lorsqu’il s’essaie aux notes aiguës, à la fin de Heels, c’est tout simplement magique, d’autant plus grâce à ces arpèges au synthé (qui bizarrement me rappellent celles de My Girls d’Animal Collective, les deux chansons n’ayant en outre rien à voir).
Pourtant, le groupe se situe bien loin des pâles imitations de Joy Division qu’on entend trop souvent ces jours ci, leurs chansons ne sont ni caricaturales ni dénuées de personnalité. Et malgré leurs textes un peu sombres et une thématique plutôt morbide, c’est un album qui n’a rien de déprimant, comme le prouvent les exaltants Fault Line et Ezekiel’s Son. À la manière des Cure ou des Sisters Of Mercy, les O. Children réussissent à créer des ambiances noires mais d’un noir brillant, de la goth pop, ou comme ils disent chez Feeling Gloomy, des « sad songs you can dance to ». Ceux qui connaissent un peu la maison savent à quel point j’aime dégommer les groupes en vogue, mais là je suis face à un problème : je n’arrive tout simplement pas à trouver le moindre défaut à ce disque. Pas une chanson ne parvient à me décevoir, même après de nombreuses écoutes. Ma préférence va bien sûr aux plus prétentieuses et décomplexées d’entre elles : Malo, Heels, et toujours l’éblouissante Ruins. Même Smile et le très sobre Don’t Dig, à l’inertie au départ déroutante, finissent par décoller.
Dès la première écoute, pas mal de mélodies restent en tête longtemps après que le disque se soit arrêté, et n’en déplaise aux jaloux et aigris de la vie, c’est une qualité appréciable et rare (qui peut me chanter de tête, là, un air de Project:KOMAKINO ou de S.C.U.M. - que pourtant j’adore - ?). Cet album n’a pas vocation à rester un truc d’initiés, il réclame les ondes radios, il est - choc, horreur - accessible, agréable à écouter. Seul l’avenir sait ce qu’il adviendra d’O. Children, mais si par malheur ça tourne au vinaigre pour eux leurs fans auront au moins un bel album avec lequel se consoler. Maintenant Tobi, tu sais ce qu’il te reste à faire, trouves-toi une corde et tu seras culte dans 30 ans*.

* les personnes n’ayant aucun second degré sont priées de sortir, merci.

4 commentaires:

  1. Parait que ce groupe est né des cendres de Bono Must Die. J'ai vu le groupe défeint il y a quatre ans au Old Blue Last. J'en garde un souvenir intacte. C'était dément!

    xxx

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  2. Tiens, les Bono Must Die, je les avais oubliés.

    Quant aux O'Children, après plusieurs écoutes -espacées dans le temps- je ne sais toujours pas quoi en penser. Peut-être curieuse de voir ce que pourrait donner un deuxième album, oui ...

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  3. Je suis totalement en phase avec cette critique. Dès la première écoute j'étais sous le charme. Je l'ai écouté des dizaines et des dizaines de fois depuis. C'est tous bonnement magistral.. Et aussi bravo pour cette belle critique

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  4. Je suis mille ans en retard mais je tenais à dire que j'approuve ta critique à 100%. La voix de Tobi est juste incroyable. Un petit mélange entre le chanteur de The Nationals et Ian Curtis.

    Personnellement, ma chanson préférée d'O. Children ( All I said is done ) ne se trouve pas sur le disque et c'est un peu décevant. Sinon un sans faute, effectivement. Reste plus qu'à espérer qu'ils se tiennent éloignés de la hype :)

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