vendredi 9 avril 2010

Nicolas Ungemuth - Garageland



Ah, Nicolas Ungemuth. Ses articles toujours passionnés, sincères et parfois assassins justifient à eux seuls l’achat de Rock & Folk et font figure de véritables bouffées d’air frais au milieu de papiers répétitifs et pas franchement transcendants. Ce qui rend Ungemuth si sympathique, c’est son refus catégorique de théoriser le rock mais aussi sa formidable capacité à utiliser sa plume comme un Colt non pas pour tirer sur les ambulances mais bien pour dégommer avec classe et humour les légendes soit-disant intouchables. Sonic Youth, Radiohead, The Smiths, tous ce beau monde se prend une balle dans la six cordes et les fans hurlent au scandale. Mais Ungemuth n’est pas seulement le Jesse James des critiques, c’est avant tout un formidable passeur dont les écrits toujours enthousiastes nous ont fait découvrir un paquet d’obscurs diamants. Quelle brillante idée donc de réunir sa chronique mensuelle Garageland en un ouvrage préfacé par l’immense Andrew Loog Oldham, excusez du peu.

Comme son nom ne l’indique pas, Garageland n’est pas tout à fait un livre sur le garage américain. D’une part parce que la plupart des groupes sont britanniques, d’autre part parce qu’il s’agit ici plus de pop que de garage. Évidemment le ton est typiquement Ungemuthien,c’est superbement écrit, vivant, érudit, hilarant. Le critique s’extasie et nous fait partager ses trouvailles avec une telle ferveur que l’envie d’écouter tous ces disques devient vite une obsession. N’oublions pas que nous parlons d’un temps où des chef-d’oeuvres sortaient tous les six mois et les merveilles de trois minutes se comptaient par centaines, il suffit de parcourir ces pages pour réaliser à quel point les sixties furent extraordinaires pour la musique.

D’un côté, nous avons les anglais. D’abord fascinés par l’Amérique profonde, ils pillent l’héritage blues et soul avant de changer le monde avec leur pop légère et d’une incroyable beauté. Soho est alors le carrefour de la révolution, les murs des clubs tremblent et l’époque se veut élégante. De 1963 à 1967, c’est l’explosion. Des compositions absolument fantastiques semblent voir le jour à tous les coins de rues, les Beatles, les Stones et les Kinks sont les maîtres de l’univers. Des interprètes majestueux sortent de l’ombre comme Chris Farlowe (qui fut le premier à chanter le célèbre Out of Time écrit par Jagger/Richards avant que le duo ne l’enregistre à son tour) ou encore Georgie Fame et Billy Nicholls. Quelques chanteurs deviendront bientôt des superstars: Rod Stewart, Donovan, Cat Stevens et surtout un certain David Jones, futur Bowie...
Les filles ne sont pas en reste et personne n’a oublié la divine Sandie Shaw (que les fans des Smiths connaissent bien), Dusty Springfield ou encore Cilla Black.
Quant aux groupes... par où commencer? L’héritage anglais est tellement collossal qu’il en donne le vertige. Impossible de tout évoquer ici mais attardons-nous tout de même sur les dévastateurs My Degeneration ou You’re Too Much de The Eyes, l’oppressant How Does It Feel To Feel de The Creation et Feel Like Flying de The Attack, tueries rock’n’roll injustement méconnues.

De l’autre côté de l’Atlantique, les américains piquent tout aux anglais et y ajoutent farfisa, guitares fracassantes et LSD, la recette est efficace mais connaîtra vite ses limites. Il n’empêche qu’une tripoté de morceaux déments traverseront les âges, parmi les plus mythiques citons l’inévitable Louie Louie des Kingsmen, Psychotic Reactions des Count Five, Slip Inside This House des Thirteenth Floor Elevator ou encore The Witch des Sonics, les précurseurs du genre.

Impossible enfin de ne pas évoquer les australiens des Easybeats et leur Friday On my Mind qui est sans aucun doute l’une des meilleures chansons de tous les temps, l’hymne adolescent ultime et fabuleux où Stevie Wright attend avec impatience le vendredi soir pour sortir, retrouver sa copine et s’amuser. Le monde est beau! Youpi! Bonheur! Allégresse! Et vous serez encore plus heureux en réalisant que le groupe a enregistré des tubes de cet acabit à la pelle.

La plupart de ces groupes sont aujourd’hui seulement vénérés par quelques initiés, pourtant certaines chansons font indubitablement partie de l’inconscient collectif. Le grand public a sans doute oublié les noms de leurs interprètes mais les mélodies sont éternelles, tellement ancrées dans notre esprit qu’on ne sait même plus quand ou comment nous les avons découvertes et c’est justement toute la magie de la chose: elles sont simplement , en nous. En effet qui se souvient de ce nom, The Spencer Davis Group, et de son incroyable chanteur Steve Winwood qui chantait exactement comme un noir? Pourtant, personne n’a oublié Gimme Some Lovin’. Idem avec The Love Affair et leur Everlasting Love repris à tout bout de champ.

Mais un livre de Nicolas Ungemuth n’en serait pas tout à fait sans quelques critiques délicieusement cruelles. Des groupes tellement mauvais que l’Histoire ne peut pas les oublier, comme les Primitives («Séries F? Sixièmes couteaux?»), les «Manowar de la scène mod/freakbeat» John’s Children ou encore les inénarrables Downliners Sect et leurs titres grotesques («Be A Sect Maniac», «Sect Appeal») bref, le musée des atrocités sixties. De telles moqueries nous donneraient presque envie de découvrir leurs oeuvres!

La lecture de Garageland pose aussi une question inévitable: où sont les artisans pop aujourd’hui? A l’heure où le format single ne veut plus dire grand chose et où la pop est surtout associée au mainstream made in MTV braindead et putassier, les artistes capables de créer une chanson intemporelle et touchant des millions de gens semblent avoir disparu. Certes la naïveté souvent cucul la praline des sixties nous parait bien loin, mais qui pourrait se vanter en 2010 de pouvoir écrire The Letter ou I Wanna Hold Your Hand et en vendre des camions? Quelles chansons de 2010 écouterons-nous dans 30 ans? Et si le retour au single, à LA grande chanson immortelle, pouvait sortir l’industrie du disque du marasme dans lequel elle s’englue désespérément? Ne serait-il pas temps de réapprendre aux gens à véritablement écouter la musique et pas seulement s’en servir de bruit de fond avec un portable? Après tout le monde de l’image se porte à merveille, pourquoi ne réussirait-on pas à réapprendre à être impressionné, fracassé et émerveillé par une chanson?

Garageland est donc plus qu’un livre: une mine d’or. Nicolas Ungemuth nous livre la formule magique pour ouvrir la caverne d’Ali Baba et le butin est insensé, ce sont des heures et des heures d’harmonies, de distorsions, de rugissements, de fous furieux qui s’offrent à nous. Ungemuth écrit «Et la vie a changé. Elle est devenue plus grande parce qu’il y avait plus de choix». Grâce à Garageland, votre vie deviendra plus grande. Et grâce à la musique, elle sera infinie.

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Pour l'occasion voici une petite playlist "Swinging London, Courrèges & Farfisa":






















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