dimanche 19 septembre 2010

Ben Myers - Richard


En matière de Rock ’N Roll, la réalité dépasse régulièrement la fiction. Histoires d’amour, de sexe, de violence, de gloire et de décadence, le destin de certains groupes s’avère parfois aussi incroyable et fascinant qu’une tragédie grecque. Avec son lot de héros maudits, de passions dévastatrices et de dénouements funestes. Flairant le pouvoir romanesque de ces existences vécues à cent à l’heure, de plus en plus d’écrivains et de scénaristes couchent sur le papier ces vies épiques que même l’imagination la plus fertile n’aurait osé concevoir.
Dans les années 90, un de ces mythes a fréquemment fait la une des journaux outre-Manche, aussi bien dans la presse musicale que dans le Daily Mail et autres torchons du genre. Richey Edwards, guitariste abominable et auteur de génie au sein des Manic Street Preachers, défraie régulièrement la chronique : déclarations choc, automutilation sous les yeux de Steve Lamacq (et des photographes), séjours en clinique psychiatrique… Celui qui avait déclaré vouloir faire la une du Sun plutôt que celle du NME ne cesse de nourrir les journalistes en manque de scandales ; volontairement d’abord, puis bien malgré lui. Sa disparition mystérieuse à l’âge de 27 ans, le 1er février 1995, est le point culminant de cette médiatisation incontrôlée. À partir de ce jour, comme Sid, Ian ou Kurt avant lui, Richey devient une icône, un martyr, une figure de musée. Mais derrière le masque sulfureux de rockstar de Richey Manic, bien peu de gens peuvent se vanter d’avoir réellement connu Richard James Edwards, et ils sont encore moins nombreux (pour ainsi dire personne) à avoir percé à jour cette personnalité aussi complexe que secrète.
Jusqu’à présent deux ouvrages s’y sont principalement attelés (je passerai sur les innombrables bouquins vulgairement pompés sur Wikipédia, accumulant les fautes et les clichés). Everything, biographie du groupe signée Simon Price, est la Bible de tout fan des Manics. Bien écrit, émouvant, complet, c’est le point de départ indispensable pour comprendre l’histoire publique et intime de nos quatre gallois. A Version Of Reason, de Rob Jovanovic, sorti l’an passé, est quant à lui exclusivement consacré à Richey, mais à défaut d’être vraiment mauvais, il tombe trop souvent dans la caricature facile, et les informations réellement nouvelles sont quasiment anecdotiques. Le journaliste et écrivain Ben Myers, fan de longue date, s’est à son tour penché sur ce mystère, mais cette fois sous la forme de fiction, car après tout les bons romans en apprennent parfois autant que les livres d’histoire.
Dans un style hyper moderne (beaucoup de dialogues, phrases courtes, voire simples mots lancés à la volée), Myers étire sur près de 300 pages la vie tantôt chaotique tantôt triviale de notre héros, et à l’aide d’anecdotes et de détails jamais anodins, en dresse un portrait assez juste, sans toutefois tomber dans les clichés journalistiques mille fois lus (dans le style d’une Martine un peu trash : Richey le dépressif, Richey l’anorexique, Richey le self-harmer, Richey l’alcoolique). Certains passages décrivant les relations entre les différents membres du groupe sont même étonnement criantes de vérité ; lorsque Richey appelle Nicky en plein milieu de la nuit pour lui faire une confession inavouable à propos du temps où ils dormaient ensemble, c’est tellement bien amené et adorable qu’en me voyant lire on m’a demandé pourquoi je souriais autant. À une ou deux erreurs près, qui ne choqueront que le lecteur averti, c’est historiquement irréprochable, l’auteur pousse même le souci du détail jusqu’à retrouver les setlists exactes des tous premiers concerts du groupe et d’autres précisions qui raviront les nerds dans mon genre.
En empruntant la voix de Richey, l’auteur mène deux récits en parallèle, d’une part l’histoire de sa vie, brossée telle une toile impressionniste à l’aide d’une multitude de souvenirs, et d’autre part ce qui lui est (potentiellement) arrivé après son départ de l’Embassy Hotel, ce froid matin de 1995. Cette deuxième partie, totalement imaginaire (quoique basée sur les maigres informations que la police a pu reconstituer), est l’occasion d’établir un long dialogue entre Richey et sa propre conscience, son surmoi impitoyable qui n’a de cesse de lui asséner ses quatre vérités : « You’re still clinging to a tiny fragment of your old, stupid, pathetic, worthless, coward self. », et de le rabaisser à coup d’ironiques « Oh really? ».
On pourrait s’attendre à ce qu’une telle histoire soit déprimante à mourir, mais tout comme Richey, Richard n’est pas dénué d’un certain sens de l’humour, et on rit franchement en observant Nicky et Richey complètement ivres dans leur chambre d’hôtel : « -Nick. -Yes? -The room is spinning. -Put one foot on the floor and you’ll be alright. -You might want to pass me the bin. Just in case. », ou lorsque Richey, racontant sa première fois absolument désastreuse avec une « vieille » dans les toilettes d’un bar miteux, constate, mi-horrifié mi-amusé, alors qu’elle est à genoux et qu’il a le pantalon sur les chevilles, qu’on voit ses racines, et qu’aussi il n’a plus aucune idée de quoi elle ressemble. La description des fans prête également à sourire, parce que vingt ans après ils ont toujours la même allure : « Fur coats, heels, T-shirts customized with slogans, bad dye jobs, tight jeans, bouffants, tiaras. And that’s just the boys. ».
De nombreux fans, à l’annonce de la sortie de ce livre, ont émis de sérieux doutes, de façon assez légitime. Ben Myers était-il encore un de ces charognards qui ferait de la vie de leur idole un mauvais roman de gare afin de lancer sa carrière de pseudo-écrivain ? Les plus puristes d’entre eux seront encore gênés après la lecture du bouquin, mais les autres devront bien admettre que Richard, sans certes valoir le Goncourt, reste un livre bien écrit, respectueux de son sujet, et qui au final réhabilite Richey, souvent dépeint comme un fou, un égoïste ou un lâche (ou comme il l’écrit si bien un « self-obsessed narcissist, whingeing weak-willed cocksucker imbecile »). Qui sait, l’éternel vaniteux qu’était Richey Edwards aurait même peut-être adoré l’idée de se voir transformé en personnage de roman. En bon disciple d’Oscar Wilde, il avait après tout fait de sa vie sa première œuvre d’art, et sans dénaturer l’original, Richard en est une copie parfaitement réussie.

Richard est disponible à partir du 1er octobre 2010. 
Special thanks to Picador for sending us a copy, and to Ben Myers for being as accessible as any young author should be, and just generally lovely.

3 commentaires:

  1. À la lecture de l'extrait publié sur le site du NME, j'avais l'impression de lire un deuxième In The Beginning (ouais ouais, j'ai l'immense honneur d'en posséder un exemplaire et de l'avoir lui *roll eyes*), ta review me rassure un peu mais j'ai quand même peur... Il va pas tarder à arriver chez moi, mais la lecture attendra la fin de Nailed To History et ses magnifiques photos. Verdict sous peu sur les Archives!

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  2. Justement le Nailed To History, ça vaut le coup de l'acheter ou c'est une énième mauvaise copie d'Everything?

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  3. Je suis qu'au début (y'a trop de taf en ce moment pour que j'avance plus vite), pour l'instant je suis pas arrivée au groupe, mais y'a une histoire plutôt bien détaillée de Blackwood mais la faute sur la 4ème de couverture me fait craindre le pire lol ("A" Journal For Plague Lovers, tu connais comme titre d'album? lol) De toute façon, je vais en faire une petiote chronique sur les Archives dès que le temps me le permettra (boulot et merdes ophtalmo power!)

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