vendredi 17 décembre 2010

My Chemical Romance - Danger Days: The True Lives Of The Fabulous Killjoys


Félicitations, si vous lisez cette première ligne, c’est que vous ne vous êtes pas enfuis à la simple mention de My Chemical Romance, et vous avez eu raison. De la gentille moquerie au mépris le plus profond, MCR a en effet généralement droit à un traitement sans pitié de la part d’une majorité de fans de rock qui, voyez vous, n’écoutent que des groupes respectables et de bon goût, eux. C’est vrai que les quatre (anciennement cinq) américains ne font pas grand chose pour défendre leur cause : de leurs paroles trempées de larmes et de sang, à leurs accoutrements ridicules accompagnant chacun de leurs concept albums, en passant par leur jeune public féminin qu’on imagine plus fan de Twilight que fin connaisseur de musique indée, tout chez eux est un bâton tendu aux critiques peu indulgentes. Et aussi bizarre que cela puisse paraître, c’est justement cette tendance à ne pas chercher à plaire et à ne rentrer dans aucune catégorie qui me touchait lorsque je les découvrais en 2004, et une fois dépouillés de leurs multiples étiquettes (« emo », « suicidaires », « commerciaux »…), ils devinrent même un de mes groupes favoris (j’espère que vous vous rendez compte du courage que demande une telle révélation). Je poussai le vice jusqu’à aller les voir à l’Élysée-Montmartre en 2007, concert qui reste à ce jour l’un des plus intenses de toute ma vie (en témoigne la multitude de bleus qui recouvrait mon corps le lendemain matin - de vraies brutes, les adolescentes, de nos jours).

Après le succès planétaire de The Black Parade en 2006, disque grandiose mais inégalable, on était bien en droit de se demander comment MCR allait s’en sortir. Leur maison de disques aurait sûrement été ravie de les voir accoucher d’un Black Parade part. II, mais en garçons plus sages qu’il n’y paraît, ils évitèrent cette solution de facilité et décidèrent une fois de plus de faire table rase du passé. Quatre ans plus tard, alors qu’on n’y croyait plus vraiment, les revoilà avec un album qui en déroutera plus d’un, dans tous les sens du terme, qu’on soit fan ou pas du tout.

Jeté à la poubelle le costume de cancéreux en phase terminale, nous avons ici affaire avec une bande d’anti-héros punk et pop art, plus proches du look d’Adam Ant que du groupe emo standard. Là où auparavant MCR s’étaient amusés à décliner toutes les nuances qui vont du gris cadavérique au noir corbeau, voilà qu’ils passent enfin à la couleur : cheveux rouges, blouson en cuir jaune et masques multicolores, le groupe prouve une fois de plus que rien ne lui fait peur, et surtout pas le ridicule.

Alors qui dit My Chemical Romance, dit album à concept, et là, il faut s’accrocher. Californie, 2019. Les Killjoys, une bande de hors-la-loi au grand cœur part en guerre contre Better Living Industries, corporation toute puissante menée par le machiavélique Korse. Quelque part en 1984 et les comics Marvel, l’histoire permet ici d’explorer les thèmes chers à MCR : la lutte du bien contre le mal, la rébellion des rebuts de la société, dominés par un monde absurde et menaçant. C’est cette ambiance de fin du monde tragi-comique qui parcourt donc ce nouvel opus, qui aurait pu avoir pour titre le célèbre aphorisme de mon Oscar préféré : « Life is too important to be taken seriously ».

Comme s’il s’agissait d’un spectacle de cabaret, Danger Days nous est raconté par son maître de cérémonie, Dr Death Defying (alias Steve Righ, qui officie habituellement chez ces cinglés de Mindless Self Indulgence), spectateur omniscient et chauffeur de salle exhortant nos personnages à coup de « Killjoys, make some noise! ». Et du bruit, ils en font. L’inaugural Na Na Na est une explosion d’adrénaline, aussi primaire et jouissive qu’un bon vieux morceau punk de 1977. Dix ans après leurs débuts dans un garage du New Jersey à reprendre les Misfits, My Chemical Romance prouvent qu’ils en ont toujours sous le capot, comme sur le déjanté Party Poison, ou l’obscène DESTROYA, morceau fleurant bon la sueur, le sexe, et la poussière du désert californien. Ray Toro, avec ses solos de guitare d’autant plus jubilatoires que leur pratique a disparu du paysage musical actuel, s’impose encore et toujours comme le fils caché de Slash et de Brian May. On retrouve également quelques ballades édulcorées aux bons sentiments, dans la plus pure tradition du groupe, et qui tout en étant de futurs tubes potentiels, ne constituent pas le principal intérêt de cet album (Bulletproof Heart et The Only Hope For Me Is You, qui remporte au passage le prix du titre le plus niaiseux).

Là où My Chemical Romance déconcerte (et impressionne !), c’est dans le courage qu’ils ont eu à investir des territoires musicaux auxquels ils étaient jusqu’alors étrangers. Prenez par exemple Planetary (GO!), titre empruntant à la dance, au glam et au disco, digne des Scissor Sisters, et qui devrait aussi bien enflammer les dancefloors que les fosses de salles de concert. Avec S/C/A/R/E/C/R/O/W et Summertime, le groupe se dirige ensuite vers un rock plus subtil et touchant, là où auparavant ils en auraient fait des tonnes. Save Yourself I’ll Hold Them Back et The Kids From Yesterday achèvent de les confirmer - et vous pouvez me citer - comme un des groupes américains les plus excitants et inspirés du moment. Loin des néo-hippies arborant barbes hideuses, chemises de bûcheron et geignant leur folk ennuyeux dans leur cabane au Montana, My Chemical Romance renoue avec une tradition de rock américain, simple et efficace, refusant de choisir entre sincérité et divertissement, et délicieux comme un plaisir coupable. Danger Days se termine ainsi sur l’hallucinant Vampire Money, monument de glam-punk à vous faire croire l’espace d’un instant que vous écoutez les New York Dolls, et qui vous laisse épuisé, une fois l’album fini, avec une seule obsession : réappuyer sur play.

Il semble qu’avec chaque album My Chemical Romance parvient ainsi à se renouveler, comme un animal qui change de peau tous les ans, tout en gardant ce je-ne-sais-quoi qui les rend si attachants. Alors que pas mal de groupes qu’on avait fourré dans le même panier qu’eux (Fall Out Boy, Panic At The Disco) ont fini par imploser sous la pression, les quatre mecs de MCR continue de faire leur petit bonhomme de chemin, se moquant bien des qualificatifs qu’on leur accole. Se trouver tout de même génial lorsque tout le monde vous crache à la figure, c’est peut-être ça, être un fabuleux rabat-joie.
 

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