mercredi 15 décembre 2010

Primal Scream - Olympia (London) - 27.11.10

"Nicotine, Valium, Vicodin, marijuana, ecstasy and alcohol" et quelques albums formidables entre deux seringues. C'est ainsi que pourrait se résumer la fascinante carrière de Primal Scream, groupe dont l'incroyable diversité musicale est directement liée aux substances qui coulent dans ses veines, créateurs extraordinaires d'ambiances toxiques parfois joyeuses, parfois d'une jouissive agressivité.

N'oublions pas que dans les années 80 Bobby Gillespie et sa moue d'ado boudeur jouaient les Moe Tucker avec les Jesus And Mary Chain, et personne n'imaginait alors que derrière cette jolie tête à claques au jeu de batterie plus que rudimentaire se cachait un futur génie. Les frères Reid sombrèrent d'album en album pendant que Gillespie devint petit à petit l'homme le plus cool d'Écosse capable de produire en une décennie Evil Heat, XTRMNTR, Riot City Blues et l'incontournable Screamadelica, tout premier lauréat du Mercury Prize en 1991 et aujourd'hui album culte.

Plutôt que de nous infliger une première partie dont tout le monde se moque, le groupe nous offre un concert scindé en deux sets, un court best-of suivi de l'intégralité de Screamadelica dans le désordre. Une chance inespérée pour ceux qui, comme moi, ne se sont toujours pas remis de l'annulation du concert de 2008 à la Cigale. On imagine aisément qu'un concert démarrant par Accelerator suivi d'une tripotée de tubes sous amphèts comme Swastika Eyes, Country Girl, Rocks, Jailbird ne peut que provoquer l'hystérie des foules, hélas de notre côté (à droite contre la barrière) le public peu coopératif réagit comme s'il avait face à lui un médiocre opening band. Le garçon à ma gauche ne prend même pas la peine d'applaudir et se repose contre la barrière tel un mollusque en baggy qui mériterait qu'on lui injecte du speed par les yeux tandis que ses copines tentent en vain d'attirer l'attention de Jarvis Cocker repéré dans le carré VIP. Kill All Hippies, définitivement.

Face à ce set rentre-dedans, carré et précis (si l'on oublie le petit couac au début de Rocks), on se dit que c'est lorsqu'il donne dans le rock le plus primaire que le groupe dévaste tout. Ca claque, ça tonne et ça vrombit, je me demande encore comment le public peut rester insensible à la folie furieuse de Swastika Eyes ou la montée en puissance de Shoot Speed/Kill Light. L'ensemble est peut-être un peu vite expédié, trop bref et visiblement les spectateurs ne sont pas venus pour cette partie du show, dommage pour eux.

Le deuxième set débute sous un assourdissant bruit de verre cassé et Bobby, costume noir et chemise rouge, harangue la foule comme un prêcheur avant la messe. "Are you ready to testify?", nous demande-t-il avec son habituel flegme. Evidemment mon vieux Bobby, nous sommes prêts.

Movin' On Up ouvre le bal à la perfection et ce chant optimiste et coloré résume à lui seul l'album, tout comme la pochette du disque qui décore le fond de la scène et éblouit les premiers rangs. "I'm movin' on up now, getting out of the darkness, my light shines on". Pas de nostalgie nauséabonde, pas de bons sentiments, juste la célébration d'un album mythique qui, si l'on se fie au public de ce soir, est cruellement ignoré par la jeune génération. Effets visuels psychédéliques, chorale gospel, musiciens additionnels, la transposition du studio à la scène s'annonçait périlleuse mais tout fonctionne à merveille même si l'expérience live est différente. Ecouter Screamadelica au casque s'apparente à la traversée d'un labyrinthe où derrière chaque porte se cache un nouvelle surprise sonore, un bruit venu de nulle part, une multitude de trouvailles savamment distillées. Retranscrire un tel disque en live est quasiment impossible mais qu'importe, Higher Than The Sun est rallongée à l'infini et entraîne les esprits déjà méchamment embrumés dans un tourbillon de guitares, Don't Fight It, Feel It s'envole grâce à l'imposante voix de Mary Pearce et tout sonne parfaitement actuel. Beaucoup semblent avoir oublié qu'à la grande époque, Screamadelica fut un album incroyablement inventif et novateur, un travail d'orfèvre, un OVNI se réappropriant le passé pour le projeter dans le futur, ringardisant le présent. Primal Scream, jusque-là un groupe bon mais relativement banal, prit le risque d'inviter les Rolling Stones à une rave party, de démolir les 13th Floor Elevators pour mieux les reconstruire, les électriser et leur glisser encore plus d'acide sous la langue. En écoutant les morceaux ce soir il est absolument impossible de les dater, pourtant dieu sait combien ce genre de musique est profondément ancré dans une certaine époque et c'est là toute la réussite de Screamadelica. Bobby Gillespie chante avec cette voix douce et traînante qui le caractérise depuis toujours et fait preuve d'une étrange élégance, évoluant sur scène comme un pantin désarticulé, remuant les bras comme un chiot en train de se noyer et trimballant nonchalamment son éternelle silhouette d'adolescent mal nourri. On se demande sincèrement comment le garçon peut être aussi bien conservé à 48 ans, un exploit lorsque l'on sait qu'il n'y a pas si longtemps le grand Bobby aurait sans doute été capable de boire un litre de liquide vaisselle en échange du trip de sa vie.

La tracklist inversée d'abord surprenante s'impose comme une évidence: le groupe devait terminer le concert par Loaded et Come Together, le moment où l'ambiance décolle enfin pour ne plus redescendre. Deux titres orgasmiques et emblématiques qui résument à eux seuls tout l'esprit d'une époque où les mots "we wanna get loaded and we wanna have a good time " étaient le mantra de toute une génération qui découvrait Ibiza, la dance et l'ecstasy. Le public se réveille enfin, retrouve sa jeunesse et chante à l'unisson "come together as one" sous une pluie de paillettes dorées, à cet instant le parallèle entre composition et drogue est une évidence tant la musique de Primal Scream s'infiltre en vous et agit comme une potion magique. Loaded et Come Together sont des titres irrésistibles, le genre de musique qui déconnecte l'esprit, réveille le corps et vous fait presque aimer les gens autour de vous, autant dire que vous ne vous sentirez plus comme ça avant un long, très long moment.

Primal Scream mériterait de vendre des millions de disques, de donner des concerts qui s'apparenteraient à d'immenses shows fédérateurs où se côtoieraient les fans de pop, électro, techno, rock'n'roll. C'est exactement ce qu'aurait dû être cette soirée, malheureusement le public trop frileux et léthargique a éteint l'étincelle qui aurait pu faire d'un simple concert une véritable ode à la fête, à l'abandon et à la communion à l'image de ce Screamadelica indémodable. Peut-être est-ce là tout le problème: l'album ne vieillit pas mais le public si, et la différence se fait désormais cruellement sentir. Une tisane hallucinogène et au lit.

Setlist:

'Accelerator'
'Country Girl'
'Jailbird'
'Burning Wheel'
'Suicide Bomb'
'Shoot Speed/Kill Light'
'Swastika Eyes'
'Rocks'

'Movin' On Up'
'Slip Inside This House'
'Don't Fight It, Feel It'
'Damaged'
'I'm Comin' Down'
'Shine Like Stars'
'Inner Flight'
'Higher Than The Sun (Pts 1+2)'
'Loaded'
'Come Together'

Site officiel
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