Tout a commencé il y a un an par un concert sous forme de renaissance. Lorsque le public du Royal Albert Hall ovationne Suede durant de longues minutes après un mémorable Metal Mickey, le groupe disparu depuis 2003 réalise que de nombreux fans, anciens et nouveaux, ont attendu ce moment durant de longues années sans trop y croire, condamnés à pleurer éternellement devant leur cassette vidéo usée de Love & Poison. Ce soit-disant one-off gig a remis Suede sur le devant de la scène au moment où personne ne s'y attendait, oubliez donc les disques médiocres, les années 2000 et Brett Anderson en débardeur-sandales, le retour du groupe est tout simplement impérial.
Plutôt que de proposer un nouvel album décevant et faire de ce come-back un pétard mouillé, Suede a eu l'excellente idée de remasteriser sa discographie accompagnée de bonus absolument fantastiques qui n'ont rien d'un vulgaire remplissage. On constate également que le groupe ne rejette rien, ni l'inégal Head Music (1999) qui contient tout de même quelques moments de grâce (Everything Will Flow, Indian Strings), ni l'embarrassant A New Morning (2002) considéré par Anderson lui-même comme l'album de trop. Moins inspirés, caricaturaux, enregistrés par des musiciens à bout de souffle, ces deux disques sont la preuve que ce n'est pas le départ de Bernard Butler qui a tué Suede mais la pipe à crack de Brett ''best drugs in London '' Anderson.
Car avant de se perdre dans des expérimentations douteuses, le groupe alors constitué de Richard Oakes à la guitare et Neil Codling aux claviers a enregistré l'un des meilleurs albums de pop des années 90, Coming Up (1996). Un disque flamboyant, glamour et supporté par deux hymnes devenus incontournables définissant à eux-seuls l'esprit Suede célébrant ''all the love and poison of London'', Trash et Beautiful Ones. Un ''do your make-up record'' à l'opposé du ténébreux Dog Man Star, une œuvre ambitieuse (les sceptiques diront prétentieuse) et ridiculement superbe enregistrée dans un contexte glacial, Bernard Butler étant alors seul contre le reste du monde. Le guitariste rêve de solos interminables, de morceaux de vingt minutes et ne partage pas les escapades toxiques de son partenaire, des différents qui le pousseront à enregistrer ses parties séparément du reste du groupe avant d'être gracieusement mené vers la porte de sortie, sa six cordes et sa frustration sous le bras. Dog Man Star demeure malgré tout un album joliment démesuré (ce déluge de cordes sur Black or Blue et Still Life...), puissant (This Hollywood Life, We Are The Pigs, la bien nommée The Power), sombre et halluciné (The Asphalt World, Daddy's Speeding, Introducing the Band), un sommet que Suede n'atteindra hélas plus.
Le duo Butler/Anderson aurait pourtant pu aller loin s'il n'avait pas comme tant d'autres été démoli par la peste et le choléra du rock: la drogue et les batailles d'ego. L'album Suede sorti en 1993 célèbre un rock'n'roll adolescent, insolent et parfois tout simplement d'une grande beauté, loin des courants dominants de l'époque et responsable d'un impressionnant cataclysme médiatique. On comprend alors pourquoi un seul single, The Drowners, a suffi pour ériger Suede en sauveurs de la musique britannique, pourquoi la presse a vu en ces gamins de la working class les héritiers d'un dandysme seventies incarné par Bowie et Bolan, pourquoi des milliers de fans avaient enfin trouvé leur groupe.
Ces rééditions permettront également aux novices de découvrir que Suede est responsable d'une tripotée de b-sides absolument fantastiques déjà en partie réunies sur Sci-Fi Lullabies en 1997. My Insatiable One, To the Birds, High Rising, Europe Is Our Playground (malheureusement la version proposée ici est beaucoup moins réussie que la version Lullabies), Killing Of A Flashboy, My Dark Star, The Living Dead et autres perles furent hélas condamnées au triste destin des faces-b que personne n'écoute à part les fans dévoués, ceux qui ont donc négligé Sci-Fi Lullabies pourront enfin apprécier ces géniaux morceaux de l'ombre encore régulièrement joués sur scène.
En réécoutant cette fascinante discographie dans l'ordre chronologique, on comprend aisément pourquoi Head Music et A New Morning ne trouvent toujours pas leur public même chez les nouveaux admirateurs: ce qui définissait Suede a disparu pour laisser place à un groupe perdu, sans vision, dépassé par les évènements. Suede, Dog Man Star et Coming Up ont en commun une esthétique et une identité fortes qui s'articulent autour d'idées profondément fédératrices: le désir d'évasion dans tous les sens du terme, la confusion des genres, l'appartenance à un gang, le besoin viscéral de faire de sa vie quelque chose de plus beau, de cinématographique tout en vivant dans un HLM.
En plus des obligatoires raretés, versions longues et démos, chaque album est agrémenté d'un DVD offrant quelques trésors, notamment un cadeau du ciel auquel on ne croyait plus: le live Love & Poison capté à la Brixton Academy en 1993 autrefois disponible uniquement en VHS, une performance qui justifie à elle-seule l'achat de Suede. Étrangement filmé, parfois gâché par des effets arty inutiles imposés par le réalisateur mais porté par un Brett Anderson vocalement impressionnant derrière son allure de flapper sous speed et un Bernard Butler discret mais parfait, cet enregistrement culte montre un groupe déchaîné et théâtral qui n'a pas peur de jouer avec les clichés. Certains détesteront, les autres savoureront le lyrisme assumé de The Next Life et Sleeping Pill et les chorégraphies de Brett, danseuse orientale dans une vie antérieure.
On appréciera également le très bon concert à la Roundhouse en 1996 où le groupe interprète Rent et Saturday Night en compagnie de Neil Tennant et évidemment les trois minutes sexy et furieuses de Animal Nitrate aux Brit Awards 1993 qui permettent à elles seules de comprendre pourquoi Suede a déclenché l'hystérie des foules: qui, en ces années 90 tournées vers le baggy et la chemise à carreaux, aurait osé chanter vêtu d'une chemise en dentelle à peine nouée, se frappant frénétiquement le fessier avec son micro?
Les banlieusards rêvant d'une vie glamour sous le ciel londonien n'avaient pas de voix, Brett Anderson fut la leur. La musique de Suede n'a rien de révolutionnaire, une grande partie de la jeune génération ne redécouvrira sans doute pas leur œuvre mais ils font partie de ces groupes rares qui, à un moment clé, ont parfaitement compris ce que le public attendait. Suede a changé des vies, a parlé à ceux qui ne se reconnaissaient plus dans le rock du début des années 90, a réinjecté du sexe, de la décadence, une vision d'esthète dans une scène musicale mollassonne, a ouvert la voie à une Britpop qui allait sombrer aussi rapidement qu'elle était arrivée mais qui laissa derrière elle quelques grands albums. Suede restera pour beaucoup le groupe de leur adolescence et pour les nouveaux fans les représentants d'une grandiloquence et d'un romantisme purement britanniques qui ont aujourd'hui disparu du rock'n'roll. Suede est plus qu'un groupe, c'est un concept, et à défaut de proposer quelque chose de nouveau ces rééditions nous offrent un délicieux goût d'éternelle jeunesse.
Pour apprécier pleinement Head Music, il faut le remettre dans le contexte de 1999, s'ils nous avaient pondu un album complètement rock et non électro, je pense qu'on ne les aura plus jamais revus... (En tout cas, personnellement c'est un de mes albums préférés de Suede après DMS et SFL, j'ai eu énormément de mal de passer de DMS à CU).
RépondreSupprimerSinon la version de Europe Is Our Playground est la version originale, celle de SFL étant une nouvelle version spécialement enregistrée pour l'album!
Et un peu déçue par la démo de The Asphalt World, moi qui m'attendais à pratiquement 20 minutes de bonheur, elle ne dure que 12!
Mais je chipote ;)
Oui mais je trouve la version originale de Europe vraiment moins bonne, je regrette un peu l'absence de l'autre version (mais je chipote aussi vu que j'ai Sci-Fi Lullabies!)
RépondreSupprimerJe suis d'accord pour The Asphalt World, je m'attendais aussi à une version beaucoup plus longue.