mardi 9 mars 2010

Jon Savage - England's Dreaming : Les Sex Pistols Et Le Punk

Ça ne pouvait pas durer, ça courait droit au désastre. Et pourtant, en l'espace de quelques mois, le punk a changé la face du monde comme peu de mouvements avant (et après) lui l'ont fait. Pas étonnant alors de voir pulluler les publications sur le genre et ses groupes phares depuis plus de 30 ans. Au milieu de biographies assez scolaires et de caricatures dénuées de fond, deux ouvrages font figures de classiques : Please Kill Me de McNeil et McCain et England's Dreaming de Jon Savage *. Tandis que les premiers s'attaquent à la branche américaine du punk, Jon Savage se concentre sur son cousin anglais, et notamment sur son groupe le plus représentatif, le plus dingue, et le plus éphémère, les Sex Pistols.
Savage ne se contente pas de raconter l’histoire du punk, il l'a vécu. La boutique Sex, les concerts dans les clubs miteux, les squats dans les appartements victoriens, il y était, et quand ce n'était pas le cas, il a directement interrogé les intéressés, par le biais de son fanzine London's Outrage puis en temps que journaliste pour des magazines comme Sound ou Melody Maker. En 1991, il rassemble toutes les archives disponibles sur le sujet, et sort ce pavé époustouflant.
Et il faut bien ces 685 pages pour retranscrire l'histoire courte mais phénoménale qu'est celle des Sex Pistols. Comment ces mecs paumés, que le hasard a placés sur la route de Malcolm McLaren et Vivienne Westwood, ont-ils pu devenir aussi iconiques en aussi peu de temps, et cela sans le moindre talent musical ? La réponse n'est pas simple, mais l'auteur explore toutes les pistes. De l'influence des situationnistes et du glam rock à l'essor des fanzines, en passant par la concurrence Londres (Sex Pistols, Clash) vs Manchester (Buzzcocks), le pourquoi de l'épingle à nourrice et du tartan, la mort prématurée du punk et la naissance de la new wave, tout est expliqué, décortiqué même, et richement illustré.
Les débuts du groupe sont marqués par un tas d’anecdotes amusantes. Pour exemple, cette interview télévisée avec Bill Grundy en 1976 : le journaliste, qui tente plus ou moins de les faire passer pour des crétins, ne se doute pas qu'il est tombé sur plus joueur que lui. À force de provocation, il obtient quelques « fuck » de la part du groupe. Le lendemain, tous les journaux Britanniques portent l'affaire en une, l'Angleterre bien pensante est outrée, Grundy est suspendu, son émission annulée, les Sex Pistols deviennent les ennemis publics n°1. Une série d’événements du même calibre leur offriront une publicité gratuite incroyable. Le mythe est né.
On se prend de pitié pour Sid Vicious, grand gamin innocent, qui à trop jouer au con, se retrouve dépassé par son propre mythe. Camé jusqu’au bout des cheveux, il garde pourtant un œil désabusé et lucide sur ce qui l'attend : « Ma nature profonde va me tuer en 6 mois. » dit-il à une amie en 1978. On le retrouvera mort le 1er février 1979, à l'âge de 21 ans.
Le point fort de ce livre, c’est que tout est replacé dans le contexte historique de l’époque. Ce sont les circonstances qui ont poussé le punk à naître à ce moment, à cet endroit, tant le Londres de 1975-76 était désespérant. On y mourrait d’ennui, on y nourrissait la jeunesse de disco et de pop sans danger, on n'y avait pas de futur. Pour que ça change, il fallait tout faire sauter, tout détruire. Quitte à s'autodétruire au passage. Si le punk prend sa source dans un instinct de survie irrépressible, un instinct de mort l'accompagne aussi en permanence. C'est cette ascension fulgurante et ce déclin presque prévisible que l'auteur décrit à merveille.
Jon Savage inclut également une bibliographie fort recommandable, et une discographie, comment dire, titanesque, de tous les groupes punks et post-punks, de quoi s'y retrouver parmi les 397 rééditions de Nevermind The Bollocks.
Un pilier de toute bibliothèque rock qui se respecte.

The England’s Dreaming Tapes (tous les entretiens utilisés dans England’s Dreaming rassemblés en un volume).

* à ces deux là j’ajoute un autre indispensable : Lipstick Traces de Greil Marcus, qui loin de se limiter au punk, replace celui-ci dans la lignée des mouvements marginaux et contestataires qui ont fait le XXe siècle. Vous en apprendrez plus là-dedans que dans n’importe quelle fac d’histoire.

3 commentaires:

  1. Déjà lu depuis des lustres, tout comme Lipstick Traces (mode fan des Manics à donf lol)

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  2. Je te confirme que dans ma fac, il n'y a pas encore de chaire sur l'histoire du punk. Si jamais ça se fait, je te recommande!

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  3. Oui, super, ce bouquin. Encore une fois, vive les éditions Allia.

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