mercredi 31 mars 2010

Suede - Royal Albert Hall, Londres, 24.03.10



7 ans de réflexion. C’est le temps qu’il aura fallu à Brett Anderson, Richard Oakes, Neil Codling, Simon Gilbert et Mat Osman pour enfin briser le «hiatus inderminé» annoncé en 2003, formule généralement employée pour dire plus élégamment «si nous continuons ainsi nous allons nous entretuer à coups de guitares».
L’annonce d’un seul et unique concert de Suede au Royal Albert Hall a fait l’effet d’une bombe chez les fans de britpop. Sauf qu’à ce one-off gig (dont l’intégralité des bénéfices furent reversés au Teenage Cancer Trust) complet en quelques minutes se sont vite ajoutés deux warm-up shows à Londres et Manchester, de quoi fantasmer sur une éventuelle future tournée.
Evidemment quelques grincheux pleurent encore l’absence du guitariste Bernard Butler mais honnêtement, il faudrait être d’une désarmante naïveté pour s’attendre à un retour prochain du monsieur.

These New Puritans ouvrent le bal et très vite l’excitation laisse place à la déception : on m’avait promis un voyage intersidéral, j’ai finalement à peine traversé mon jardin en deltaplane. Il faut reconnaître que le groupe est assez fort pour créer une ambiance vaguement lourde et pesante à coups de grosses ficelles: batterie martiale appuyée par un deuxième percussionniste, chanteur au teint de déterré et voix d’outre-tombe tentant de nous hypnotiser, en vain. Nous assistons à un set répétitif sans chansons et sans âme et non, cher Jack Barnett, gigoter dans tous les sens comme un pantin désarticulé en fixant le ciel ne te donnera pas plus de charisme. On y croit jusqu’au bout, on attend le décollage mais c’est peine perdue, les mecs ont définitivement oublié le kérosène.

These New Puritans quittent la scène et l’attente devient alors insoutenable. Le public est déjà gonflé à bloc, pourtant c’est un groupe conquérant qui surgit de l’obscurité sur les premières notes de She. La bataille est gagnée d’avance mais qu’importe, l’ancien «best band in Britain» veut désormais prouver qu’il méritait clairement sa couronne et compte bien la récupérer. Brett Anderson tient le public par les couilles, nous ne sommes pas face à un groupe savourant confortablement son succès mais face à un vrai gang prêt à se battre dans l’arène, lâchant les bombes sans répit. A peine le temps d’applaudir que Trash, Filmstar, Heroine et Animal Nitrate plongent la fosse dans l’hystérie collective, chacun hurlant à plein poumons le mythique «What does it take to turn you on?» du refrain.
Brett danse, saute, prend quelques bains de foule et ne s’arrête jamais. Sans un mot, il arpente la scène comme un possédé et se calme enfin le temps d’un Pantomime Horse sublime, morceau taillé sur mesure pour sa voix saisissante. La même émotion s’empare de l’assemblée durant le déchirant The Next Life où chacun semble retenir son souffle durant trois minutes, subjugué par la performance intense d’un Brett Anderson au sommet de son art.

Le public est de nouveau au septième ciel lorsque retentit l’intro de The Drowners, premier single absolument parfait sorti en 1992. Le riff, les paroles, les irrésistibles «slow down, you’re taking me over» de Brett, la chanson a réussi à passer l’épreuve du temps et s’impose comme l’un des titres emblématiques des nineties, un hymne intemporel, malicieux et addictif. L’enchaînement avec la surpuissante b-side Killing Of A Flashboy est détonant et cette succession de tubes montre bien à quel point Anderson et ses compères excellent dans l’art de la pop song abrasive et sexy. Le groupe enfile les perles flamboyantes avec plus de ferveur et de passion que n’importe qui à l’heure actuelle, de quoi donner une grande leçon de rock’n’roll à toutes les apprenties rockstars. Brett et le bassiste Mat Osman se déhanchent frénétiquement pendant deux heures tandis que Neil Codling l’éternelle gueule d’ange mono-expressive décroche enfin quelques sourires, du jamais vu depuis au moins 1998.



Le show se poursuit avec The Asphalt World (sans doute la plus belle chanson jamais écrite sur un ménage à trois) hélas amputée de son épique solo pour laisser place à une version furieuse de So Young. Vient ensuite l’orgasmique Metal Mickey où le jeu enflammé et nerveux de Richard Oakes fait des miracles. C'est à ce moment-là que le public en transe se lance dans une interminable standing ovation qui durera plusieurs minutes sans relâche. Impossible de ne pas être ému par cette vision incroyable de Suede tout sourire sur scène en 2010, acclamés par une foule qui semble leur dire "qu’importe la suite, aujourd’hui vous êtes le meilleur groupe du monde et vous nous avez manqué".
On peut reprocher aux reformations d’utiliser la nostalgie pour remplir les caisses, on peut trouver pathétique le spectacle de ces hommes de quarante ans reprenant les titres qui ont fait leur gloire quinze ans plus tôt mais à cet instant tout cela n’a aucune importance. Le groupe qui se produit ce soir n’a sans doute pas été aussi bon depuis 1996 et les fans, anciens et nouveaux, ont conscience d’assister à quelque chose d’exceptionnel et précieux.



La fin du set est marquée le retour de Brett seul à la guitare le temps de la tragique et magnifique face b The Living Dead, avant d’être rejoint par ses camarades pour une poignante interprétation de The 2 of Us belle à vous faire chialer un hooligan. Lorsque Brett annonce le dernier titre, Saturday Night, une bonne partie du premier rang est en larmes. "Let's do it again in another seven years time", dit-il. Nous n’avons pas assisté à un simple concert mais bien à une véritable messe, une communion entre un groupe singulier pour qui la musique est une question de vie ou de mort, et un public dévoué qui n’a pas oublié que dans les années 90 les chansons de Suede ont changé la face du rock anglais et la vie de milliers d’admirateurs qui se sont enfin sentis un peu moins seuls.

Vont-ils de nouveau attendre sept ans? L’avenir nous le dira. Certains préfèrent rester sur le concert parfait de ce 24 mars, les autres, sans doute ceux qui n’ont pas eu la chance de les voir à la grande époque, en redemandent. Car honnêtement, personne n’aurait pu imaginer un retour triomphal de Suede. Comment garder espoir en voyant les tragiques vidéos de 2002, douloureux témoignages d’un groupe qui s’est littéralement autodétruit durant des années avant le suicide que fut A New Morning et la tournée qui a suivi? Au-delà de la formidable performance de ce soir le public semble simplement heureux de voir Brett Anderson vivant et superbe, enfin débarrassé de son personnage de diva perdue dans un roman de Burroughs, les falsettos tristement bousillés par une pipe à crack.
3 jours, 7 ans ou in the next life qu’importe mais revenez: personne n’a jamais aussi bien chanté que vous les suburban dreams et les nuclear skies...



She
Trash
Filmstar
Animal Nitrate
Heroine
Pantomime Horse
The Drowners
Killing Of A Flashboy
Can't Get Enough
Everything Will Flow
He's Gone
The Next Life
The Asphalt World
So Young
Metal Mickey
The Wild Ones
New Generation
Beautiful Ones

The Living Dead
The 2 Of Us
Saturday Night




Site officiel
Teenage Cancer Trust

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