mercredi 24 novembre 2010

Pays de Galles - Octobre 2010

La Baie de Cardiff

« [Au Pays de Galles,] il y a des joyaux à ramasser, mais avec l’œil uniquement. » - R.S. Thomas.

On dit toujours qu’on tombe amoureux au moment où on s’y attend le moins. Si cela s’avère (parfois) vrai en ce qui concerne les personnes, c’est souvent le cas pour les endroits. On peut aller à Venise, ville idyllique par définition, et revenir avec la déception qui accompagne les rendez-vous arrangés dépouillés de tous les charmes de la séduction ; puis au contraire goûter à une plénitude quasi extatique dans une felouque précaire voguant autour de l’île Éléphantine d’Assouan. Mais à une époque où la culture mondiale tend à s’uniformiser et où l’on peut se rendre presque partout sans le moindre effort (que ce soit par avion… ou sur Google Earth), il est rare d’avoir encore le coup de foudre pour des lieux inconnus, en tout cas pas près de chez nous. C’est-ce que nous croyions aussi, il y a quelques semaines de cela. Lorsque nous prévoyions d’inclure une étape Galloise dans notre folle tournée en compagnie des Manics, nous étions loin d’imaginer la révélation esthétique et culturelle qui nous attendait. Portrait d’un lopin de terre qui gagne à être connu.



Pour ceux qui auraient séché leur cours d’anglais de 5e, le Pays de Galles (Wales en Anglais, Cymru en Gallois) est une des quatre nations qui constituent le Royaume-Uni. Un conseil, ne demandez jamais à un Gallois s’il est Anglais (une insulte !), le Gallois n’est ni Anglais, ni même Britannique, le Gallois est Gallois, c’est tout. Une tendance à l’indépendantisme qu’on retrouve partout : des émissions pour enfants aux noms des rayons chez HMV, tout est traduit dans la langue locale. Même à Cardiff, la capitale, nul n’essaie de dissimuler son accent, pourtant méprisé par le reste du Royaume. Et lorsqu’on s’aventure un peu dans l’intérieur des terres, le dépaysement linguistique est total : les noms des villages sont imprononçables (Cwmfelinfach, Pontllanfraith,…), et les lycéens qui prennent le bus parlent un dialecte impossible à déchiffrer. Un sens du nationalisme qui leur vient peut-être de leur statut de vilain petit canard de la Grande-Bretagne. Pendant très longtemps, les Gallois ont été perçus comme des paresseux alcooliques, arriérés et incapables de moindre développement ; aujourd’hui encore les clichés ont la vie dure, et il persiste au sein de la prestigieuse Angleterre un racisme latent à l’égard de ces voisins à l’accent peu élégant. Heureusement depuis quelques années la culture Galloise occupe de plus en plus le devant de la scène. Grâce à des groupes comme les Manic Street Preachers, Stereophonics, Super Furry Animals ou Feeder, la réussite de l’équipe nationale de rugby, ou l’essor de BBC Wales sous l’impulsion de séries comme Doctor Who, les Gallois n’ont jamais autant envahi le monde. Pas mal, pour un peuple qui vit sous la coupe des Anglo-Saxons depuis plus de sept siècles.


Millenium Centre de Cardiff

Une fois que nous nous étions familiarisées avec l’accent, une autre chose nous a frappées chez ces fameux Gallois. Ce sont les gens les plus gentils, les plus adorables et les plus serviables du monde. Les Britanniques dans leur ensemble sont connus pour leur politesse, mais au Pays de Galles, ça frise l’excès de zèle. Pendant les trois courtes journées passées là-bas, nous avons été traitées comme des princesses, nous étions indubitablement au royaume des Bisounours : les passants vous sentant un peu paumés vous proposent spontanément leur aide, les vendeuses de centres commerciaux vous appellent « Darling », et au pub, sous prétexte d’une erreur de commande, vous vous voyez offrir une énorme glace, après que le serveur soit venu vous voir une bonne dizaine de fois pour s’assurer que tout allait bien. Dans un bus entre Newport et Blackwood, nous sommes même témoins d’une autre scène surréaliste : les ados de 16 ans (les mêmes lycéens mentionnés ci-dessus), pourtant habillés comme de parfaits petits chavs et en plein âge rebelle, remercient le chauffeur chacun leur tour en descendant du véhicule. Un truc qu’on aurait bien du mal à imaginer chez nous. Jamais nous n’avons entendu de Gallois s’énerver, se plaindre, ou être désagréable avec nous, et non seulement c’est contagieux, mais on s’y habitue extrêmement vite. Même Newport, ville a priori pas très intéressante ni jolie, a su nous séduire par la bonne ambiance tranquille et accueillante qui y régnait. Autant de minuscules détails qui changent la vie, et qui a rendu le retour parmi nos chers compatriotes agressifs et râleurs encore plus difficile.


Le Bute Park, avec vue sur le château de Cardiff

Si les Gallois sont tous naturellement charmants, ce n’est pas leur seul don, car ce sont aussi tous des poètes dans l’âme. Après tout, le Pays de Galles est connu pour être le « Land of the Song », et c’est loin d’être une simple légende. Impossible de recenser tous les poètes (Dylan Thomas, R.S. Thomas), les écrivains (Roald Dahl, Ken Follett), et les songwriters (Ivor Novello, John Cale) que compte le pays tant le talent pour le vers et la mélodie semble inscrit dans ses gènes. Une tradition tellement puissante que le moindre petit village perdu possède sa fanfare ou sa chorale. Et comment oublier la littérature médiévale Galloise, au service des mythes celtiques et du druidisme, et qui mine de rien imprègne toujours la culture moderne (le Roi Arthur, toute l’œuvre de Tolkien…) ? Pour comprendre ce goût inné pour la poésie, il suffit de se promener un peu. Le pays de Galles est tellement peu peuplé que la majeure partie du territoire est vierge de toute présence humaine. Amis des grands espaces, des forêts et des montagnes, cet endroit est fait pour vous. Vallées verdoyantes, plaines parsemées de jonquilles et villages paisibles, tout pousse au recueillement et à l’enchantement, de quoi se prendre pour un poète romantique du XIXe siècle. Ici pour voyager dans le temps, pas besoin de TARDIS, un simple ticket de bus vous suffira.


Vue du Severn Bridge

Et devinez quel est le thème de prédilections des auteurs Gallois ? Le Pays de Galles, pardi. Car les Gallois aiment leur pays à s’en rendre malade, et quand le pays souffre, c’est tout un peuple qui gémit. Il existe en Gallois un mot impossible à traduire : « hiraeth ». Le terme désigne à la fois l’attachement aux traditions, le mal du pays, et une nostalgie presque douloureuse, là aussi une spécialité locale. Il nous a suffit d’allumer la télévision pour nous en rendre compte. BBC Cymru diffusait ce soir là un documentaire sur quelques demeures historiques du pays, et bien qu’on ne comprenait pas un fichtre mot des commentaires en Gallois, il fallait être aveugle pour ne pas voir l’amour qu’avaient ces gens pour leur passé, leur histoire, leur patrimoine. Un triste air de violon achevait de donner à cette banale émission une tournure presque déprimante. Et inconsciemment, cette mélancolie nationale s’insinue partout : du Severn Bridge à la Baie de Cardiff, le moindre paysage provoque en vous un pincement au cœur, un sentiment étrangement aussi amer qu’agréable. Dylan Thomas le résume mieux que moi : « Swansea [sa ville natale], à l’instar de l’oignon, a de nombreuses couches, et chacune d’elles suffit à vous faire fondre en larmes », il aurait pu en dire autant du pays tout entier.


Rue principale de Blackwood

Enfin, il me reste à être honnête avec vous, ce choix de voyage au Pays de Galles n’avait rien d’anodin. Fans absolues des Manic Street Preachers, les enfants chéris du pays, nous rêvions de fouler cette terre qui les avait vus grandir, un peu comme les Chrétiens vont à Jérusalem, toute proportions gardées. Nous étions loin de nous imaginer le choc quasi mystique que ce séjour allait opérer en nous. Il faut dire qu’on a commencé violemment. Pour relier Londres à Newport, notre première étape, nous fûmes obligées de passer sur le Severn Bridge, lieu hypothétique du suicide non moins hypothétique de Richey Edwards, et accessoirement endroit le plus désespérant de tout le pays.
Remises de cet accueil pas très chaleureux, nous allions ensuite à Blackwood, ancien village minier perdu dans les Vallées où ont vécu nos quatre Gallois jusqu’à leur majorité. Imaginez vous une rue principale glauquissime où survivent une poignée de boutiques sordides, aux alentours quelques pâtés de maisons, et puis rien d’autre. Une demie-heure de bus pour atteindre le lycée le plus proche, une heure pour trouver un disquaire. Sans rentrer dans l’histoire détaillée du groupe, c’est à Blackwood qu’on a compris un milliard de choses sur eux. Pourquoi la bibliothèque était leur seul refuge, l’ennui leur principale motivation, et pourquoi après s’être trouvés, ils ne sont plus jamais lâchés.
Lors des concerts suivants certaines chansons prenaient également un autre sens : Motown Junk décrivait à merveille ce sentiment d’étouffement que peut ressentir n’importe quel adolescent vivant dans un endroit pareil, tandis qu’aucune autre chanson ne racontait mieux la condition prolétaire que A Design For Life : son « I wish I had a bottle right here in my dirty face, to show from where I came » prend toute sa signification pour quiconque a vu Blackwood. Et pour ceux qui viennent du même genre de région, ces provinces sinistrées par le chômage et la pauvreté, ces déserts culturels et sociaux, impossible de ne pas ressentir, plus que jamais, une origine commune avec les Manics, une fierté et une volonté à tout épreuve de s’en sortir, puisque eux y sont arrivés. Sur le chemin du retour, nous passons devant la maison des Bradfield, en face d’une décharge de pneus ; non vraiment je ne me plaindrai plus jamais de l’endroit où j’ai grandi.
Nous rentrions ensuite à Newport, rebaptisé Chavland par nos soins, tant de prime abord nous croyions être dans la capitale du jogging. Comment Nicky Wire peut-il vivre ici, dans ce cauchemar éveillé de fashionista ? Mais comme mentionnés précédemment nos préjugés furent assez vite balayés, et c’est en quittant la ville qu’on se rendait compte à quel point nous nous y étions attachées. Aujourd’hui encore je regrette ses papeteries géantes et ses magasins absurdes où pour une livre vous êtes le roi du monde.
Après avoir gardé le meilleur pour la fin, nous allions à Cardiff, ville d’une beauté lumineuse, où règnent le calme, la bonne humeur, et l’air pur. Là aussi les références aux Manics pullulent. De leur plaque à la bibliothèque municipale qu’ils ont inaugurée, au Millenium Stadium où ils ont quitté le siècle dernier en compagnie de 70000 personnes, tout rappelle leur présence, à différents moments de leur histoire. Il y a l’ancien appartement de Richey, où vont se recueillir les fans sentimentaux, et les pubs de St Mary Street dans lesquels James a du boire un bon million de pintes.

Les Vallées, depuis Blackwood

Nous quittons donc le pays avec l’impression d’en avoir plus appris sur les Manics qu’après avoir lu tous les articles à leur sujet, et en réalisant plus que jamais toute la chance que nous avions de connaître un groupe aussi exceptionnel. Et pour toutes les raisons citées plus haut, et plus encore, nous partons avec le cœur gros, et une seule idée en tête : revenir dès que possible. L’hiraeth, comme ils disent…

1 commentaire:

  1. ça alors, cet article m'avait échappé, je ne le lis que maintenant! Le moins qu'on puisse dire, c'est que tu donnes envie d'y aller!

    RépondreSupprimer